Claude Merle – « Plus faux que nature ! »

Il y a quelques années j’ai visité avec ma femme Anke de Vries (voir blog) une exposition des tableaux d’une artiste Belge, Françoise Dony, encore une de ces étrangères talentueuses venues chercher de l’inspiration dans la Drôme. L‘exposition avait été organisée dans le château d’Autichamp par ses propriétaires Nol et Joyce van Fenema qui étaient de nos amis. Joyce qui est malheureusement décédée avait l’habitude de coordonner des évènements culturels significatifs chez elle et dans le village d’Autichamp. Ses activités ont été reprises après sa mort par l’association Alticampus. C’était par un bel après-midi de printemps et  une foule de personnes se pressait devant le château à notre arrivée. Les caves voutées où se tenait l’exposition étaient déjà pleines de monde. Un moment après, en passant d’un tableau à l’autre j’eus le sentiment de quelque chose de bizarre que je ne parvenais pas bien à saisir. La plupart des visiteurs passaient puis revenaient parfois sur leurs pas pour revoir une œuvre qui avait retenu leur attention. D’autres en revanche restaient curieusement immobiles sur place. Il y a avait une femme qui regardait par la fenêtre et un homme dans un coin qui n’avait pas bougé et lorsque nous sommes passés une deuxième fois ils étaient toujours là. Je mis quelques moments pour comprendre que ce n’était pas des êtres en chair et en os mais des mannequins si vrais que rien ne les distinguait des autres personnes sur les lieux et, pour utiliser un terme artistique, ils étaient de remarquables « natures mortes ». L’effet était à la fois étonnant et déroutant. C’était la première fois que j’entendais parler de l’artiste Claude Merle qui avait réalisé ces mannequins. Quelque temps plus tard avec Anke nous sommes allés voir jouer une pièce au théâtre du Vivier qui se trouve un peu en dehors de Saint Gervais-sur-Roubion. En entrant, nous nous sommes automatiquement dirigés vers l’homme derrière un bureau pour acheter nos billets d’entrée. Là, de nouveau, l’illusion était sidérante. L’individu ne bougeait pas et continuait à nous regarder sans réagir. Nous étions de nouveau face à face avec un mannequin de Claude Merle. C’est alors que je me suis dit que j’aimerais bien rencontrer l’artiste qui, le hasard fait bien les choses, n’habite pas loin de chez nous. Je me suis dit aussi qu’il constituerait un sujet parfait pour un article de blog.

Claude Merle habite une ancienne ferme à peu de distance de Saint Gervais-sur-Roubion dans la plaine de la Valdaine. C’est un plat pays mais le village est situé sur une légère éminence à 13 kilomètres de Montélimar. La population compte près de 1000 habitants, il y a un château du 16ème siècle, quelques jolies maisons anciennes, un club compétitif de boulistes, le théâtre tout proche du Fenouillet qui génère des activités théâtrales, des « trocs en plantes » deux fois par an où l’on échange plantes et fleurs, sans oublier plusieurs associations culturelles, professionnelles et artistiques. Et puis, enfin et surtout en ce qui me concerne, « La Compagnie des Voisins » une association qui compte 90 membres fondée autour de Claude Merle qui en est la force motrice. Ses objectifs sont de promouvoir la création de mannequins comme moyen d’expression artistique et de faire connaître les activités de la « Compagnie des Voisins » au moyen d’expositions, en organisant des ateliers ainsi que d’autres activités promotionnelles.

J’ai donc contacté Claude Merle et nous avons pris rendez-vous chez lui. Anke m’accompagnait. En arrivant un gros chien se précipita en aboyant vers la grille suivi par son propriétaire un homme à l’allure avenante en bras de chemise et avec des yeux très bleus. Le chien se montra plus qu’affectueux et heureux de nous voir et Claude nous invita à le suivre dans sa maison. Après avoir fait connaissance et lui avoir expliqué ma démarche il nous conduisit dans l’espace où se trouvaient stockés quelques 70 à 80 mannequins dans l’attente de leur participation à un prochain évènement. Ce que nous avions devant nos yeux était carrément impressionnant et un peu oppressant, une foule d’individus de types différents, murés dans le silence le plus complet et prêts sous le coup d’une baguette magique à sortir de leur sommeil. Certains paraissaient parfaitement normaux et nous aurions pu les rencontrer et bavarder avec eux dans la rue ou installés dans un café ; il y en avait d’autres en revanche qu’on ne souhaiterait pas rencontrer ni de jour ni encore moins la nuit. En rentrant chez nous,  Anke qui était aussi frappée que moi par toutes ces ressemblances à des personnes réelles se demandait si elle se serait sentie à l’aise et en sécurité en les hébergeant chez nous !

Les personnes dotées d’un esprit créateur le sont en général dans plus d’un domaine. Ce sont celles qui poussées par un besoin profond d’inventer, d’organiser, de créer réalisent leurs rêves et Claude, qui venait de nous recevoir, nous apparaissait comme un homme qui avait beaucoup de rêves ainsi que l’aptitude et la persévérance nécessaires pour les mener à bout. Son parcours dans la vie comme aussi son cheminement artistique sont loin d’être communs. En plus d’être le créateur des mannequins qui sont le sujet du présent article de Blog ses autres activités comprennent la publication de 8 tomes en vers alexandrins d’une correspondance avec un ami sous les pseudonymes de Bargougnan et Garnopal. Il joue aussi en amateur du piano, du saxo et de la clarinette, se produit sur scène dans des spectacles humoristiques et burlesques, et il est engagé dans Dieu sait quelles autres activités !

Sa jeunesse Claude la passa dans le département voisin de l’Isère avant de monter à Paris, avec sa femme et son fils, à l’âge de 20 ans après deux ans d’études scientifiques avortées. C’était à la fin de l’époque houleuse des années 60 qui devait changer le cours de beaucoup de choses y compris les choix de vie de Claude. Pendant trois ans il sera, pour le citer, « un instituteur remplaçant, sans passion » après quoi il exercera des petits boulots d’où il se faisait systématiquement renvoyer au bout d’un certain temps. Le soir il accompagnait régulièrement un ami qui disait des textes dans des cabarets, puis ensemble avec un troisième compagnon ils monteront des spectacles. A partir de ce moment-là, la scène fera toujours partie de sa vie.

Quiconque s’attarde devant les mannequins de Claude ne peut s’empêcher de remarquer leurs expressions faciales qui traduisent à la perfection leur humeur et leurs émotions. Les yeux surtout retiennent l’attention tant le regard est naturel et vivant. Les gestes aussi et les attitudes sont d’une justesse étonnante même si pour bien rendre le caractère de l’individu ils sont parfois légèrement exagérés. Ses sources d’inspiration ? Claude m’a confié que pendant sa jeunesse il avait été un lecteur assidu de la bande dessinée populaire des Pieds Nickelés dont les héros Croquignol qui avait un grand nez, Ribouldingue une barbe et Filochard qui était borgne, étaient des escrocs sympathiques sans scrupules qui se rebellaient contre l’ordre établi. Claude les vénérait ! Plus tard ce sera un caricaturiste qui le fascinera et qui l’amènera à croquer des caricatures de membres de sa famille et de ses amis ; plus tard encore, pendant quelques temps il fera même la « manche » en exposant des portraits de célébrités sur le trottoir comme Georges Brassens, Bob Dylan et bien d’autres.

Alors qu’il était encore à Paris, Claude avait un copain avec qui il faisait du théâtre. Cet ami qui était également marionnettiste créait de très beaux masques qui le remplissaient d’admiration et l’inspiraient. C’est après être devenu moniteur dans un centre aéré qu’il se mettra lui aussi à fabriquer des masques en s’inspirant des techniques de son ami. A partir de ce moment-là Claude Merle aura trouvé sa voie : « On m’a prêté un atelier dans une Maison de Quartier et j’ai également animé des stages avec des enfants et des adultes. »

Qu’est-ce qui a décidé Claude Merle à venir s’installer dans la Drôme ? « C’est le hasard. J’ai quitté la région parisienne où j’ai vécu 7 ans avec ma femme et mon fils parce que nous avions un ami qui habitait cette région et nous venions passer les vacances chez lui. J’ai continué à travailler dans des maisons de jeunes et j’ai animé des stages en Isère, dans le Rhône, la Loire…Parallèlement, je recevais des commandes de masques et d’accessoires pour le théâtre, pour des films publicitaires aussi, pour la télé, etc. J’ai dû plusieurs fois reproduire la tête d’un comédien ou d’une comédienne. C’est dans ce contexte que j’ai produit mes premiers mannequins ; il s’agissait d’une commande pour le Théâtre des deux mondes à Grenoble. 

En 1983 j’ai pensé qu’il serait intéressant de créer ma propre « troupe » dont les acteurs et les actrices seraient mes mannequins. Je me suis donc mis au travail. Au début mes personnages étaient en papier mâché et puis je suis passé à la résine polyester pour des raisons de consistance et de solidité. Après en avoir fabriqué quelques-uns j’ai décidé de les appeler « Les Voisins » (aucun rapport avec mes propres voisins…quoique…certains rappellent étrangement ceux de mon enfance !) L’étape suivante sera de les mettre en scène et de les montrer dans différents lieux : théâtres, centres culturels, châteaux, MJC etc. et bien d’autres endroits. Au cours des 30 dernières années « Les Voisins » ont voyagé en Amérique, en Angleterre, Australie, Nouvelle Zélande, dans de nombreuses villes à travers la Belgique et la Hollande, en Allemagne, Italie, Portugal, Luxembourg, Grèce, Canada, Autriche, Irlande, Espagne et en Lituanie. »

D’autres artistes, dont certains très connus, fabriquent des mannequins. Ceux en résine polyester de Ron Mueck un australien sont monumentaux et hyperréalistes révélant avec minutie les moindres détails du corps humain. Sam Jinks également australien met l’accent sur la peau, les pores, les cheveux, etc. George Segal est célèbre pour ses moulages de personnages grandeur nature qui ont une apparence fantomatique et mélancolique. Carol Feuerman, une américaine, sculpte des figures féminines en maillot de bains tout droit sorties d’un magazine de mode. « Les Voisins » de Claude Merle, eux, sont incontestablement des Français, essentiellement des gens du peuple, de ceux qu’on rencontre en allant faires ses commissions, en se promenant dans la rue, ou encore dans leurs moments d’intimité ; ce qui intrigue chez eux c’est la ressemblance et la tension qui existe entre la fiction et la réalité. J’ai demandé à Claude ce qui l’incitait à créer surtout des petites gens dans leur quotidien. « J’ai commencé par faire des « monstres » et puis je me suis rendu compte que plus mes mannequins étaient naturels plus ils produisaient de l’effet. Cependant, je tiens à ce que les visages soient marqués par la vie et pour cela il m’arrive de pousser le trait ce qui les rend parfois sinistres, surtout lorsque je les place dans un environnement qui est également sinistre. Dans ces cas c’est une manière d’ajouter une pointe d’humour noir à mon travail ! »

En ce moment Claude travaille à la réalisation d’un projet destiné à créer une demeure permanente pour ses mannequins, une « Maison des Voisins » ouverte aux visiteurs. Il a choisi de le faire dans les dépendances spacieuses de sa ferme. Un architecte a dressé les plans et les travaux de construction sont déjà avancés. En ce qui concerne l’aménagement de l’exposition une forme de parcours est envisagée. Les visiteurs seront d’abord reçus dans un espace d’accueil, puis invités à suivre un itinéraire qui passera par différents « tableaux vivants » représentant des scènes de la vie courante et dont les personnages, « les Voisins », seront placés dans les décors avec les accessoires qui conviennent à la situation. Il y aura ainsi l’étal d’un boucher avec ses clients, une famille à table, un paysan et son cochon, la chambre de grand-mère, un coin tripot, une fanfare qui joue une joyeuse musique, etc, etc. Dans une salle fourre-tout seront exposés des manuscrits et tout un attirail ayant un rapport avec « les Voisins » et leur histoire. La « Maison des Voisins » prendra encore quelques mois à réaliser (ouverture prévue au printemps prochain) mais elle suscite déjà un vif intérêt de la part des autorités locales et régionales, de sponsors et naturellement des membres de l’association « La Compagnie des Voisins. » De nombreux visiteurs sont attendus, comme pour une exposition un peu particulière de Madame Tussaud.

Vu le succès que connaissent déjà ses mannequins on peut faire confiance à Claude Merle pour mener à bien cette surprenante aventure !

 

Pour plus d’informations concernant « la Maison des Voisins » veuillez contacter Claude Merle par mail: compagniedesvoisins@gmail.com

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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