Patrick Grisel – « L’ennui naquit un jour de l’uniformité »*

LE POËT LAVAL AU XVII SIECLE

Le vieux village du Poët Laval qui se dresse fièrement sur une colline (Pogerum Vallis) le long de la route entre Montélimar et Dieulefit remonte au 12ème siècle. Il appartenait à l’Ordre des Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem à l’époque des croisades qui aura été, une page d’histoire turbulente et pleine de rebondissements sur laquelle je reviendrai sans doute dans un prochain article de blog. Quelques centaines d’années plus tard, au 17ème siècle, le village traversera de nouveau une période de bouleversements suite à la Révocation de l’Edit de Nantes.

Patrick Grisel, l’artiste de l’article de blog pour ce mois-ci habite une maison familiale à Le Poët Laval. Il vient d’ailleurs, de Normandie, « un étranger » comme on dit ici. De plus il est catholique. Ceci aurait pu l’empêcher de se marier avec Catherine -sa femme- qui descend d’une famille protestante bien connue dans la région, s’ils s’étaient rencontrés 500 ans plus tôt lorsque l’Edit de Nantes sera révoqué en 1685 par le tout puissant Roi Soleil, Louis XIV. Moins d’un siècle après sa promulgation le monarque  déclenchera une nouvelle vague de persécutions à l’encontre des protestants calvinistes de France qui constituaient une large majorité de la population de la Drôme (à l’époque elle n’existait pas et faisait partie du Dauphiné). Les ruines des châteaux appartenant aux seigneurs locaux qui  refusent alors de se convertir au catholicisme témoignent des exactions et elles sont encore partout visibles dans le paysage. Les églises protestantes connaîtront le même sort, sans oublier les « dragonnades, » ces actions punitives par les militaires à cheval du roi qui venaient harceler et maltraiter les simples habitants, en venant brûler et voler leurs biens. Le traité avait mis fin aux longues guerres de religion qui s’étaient déroulées pendant la deuxième moitié du siècle précédent et il accordait alors aux protestants, les Huguenots, entre autres concessions, la liberté du culte. Ils seront nombreux à s’exiler dans d’autres pays en Suisse, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Angleterre, empruntant des itinéraires spécialement tracés pour les mettre à l’abri de poursuites. Le point de départ d’une de ces routes, « le chemin des Huguenots, » longue de 1600 kilomètres et qui aboutit au temple de Karlshafen en Allemagne, était celui de Le Poët Laval qui sera l’un des trois en France à avoir été  miraculeusement préservé en l’état.  Il abrite aujourd’hui le Musée du Protestantisme. En y pénétrant on peut facilement imaginer les fidèles assis sur leurs bancs en train d’écouter le sermon du pasteur ou entonnant en cœur des psaumes.

Quelques réflexions préliminaires

Très souvent un artiste qu’il soit peintre, sculpteur, écrivain ou musicien s’en tient à un seul mode d’expression. Des peintres adopteront souvent alors un style spécifique ne réalisant que des œuvres abstraites à l’exclusion de toute autre forme, ou bien leurs œuvres seront figuratives. Si par bonheur ils se font un nom ils seront reconnus en fonction de leur style et le peintre abstrait qui s’avise de faire un travail réaliste éveillera aussitôt des soupçons et on se demandera s’il faut le prendre au sérieux. Cette attente selon laquelle il convient de se limiter à une seule forme d’art prend actuellement une ampleur de plus en plus grande du fait que les modes touchent un public beaucoup plus vaste. Qu’on le veuille ou non, la tendance vers l’uniformité dans le monde actuel s’est malheureusement généralisée. Ceci est vrai également pour l’art. Il n’y a pas tellement longtemps la peinture de paysages et de natures mortes était découragée dans les écoles des beaux arts et les séances de modèle vivant supprimées, les étudiants se voyant poussés à faire « du conceptuel »  comme si cela était un gage d’originalité. De ce fait (je parle pour le monde de l’art aux Pays-Bas que je connais mais je sais qu’il en est de même ailleurs), de nombreux artistes se sentent dans l’obligation de réaliser, sans cesse, des œuvres non-réalistes, le plus souvent de médiocre qualité car elles ne correspondent pas à leur vrai talent. Le commerce a fait des œuvres d’art des produits de consommation, en d’autres mots des produits de marque, ce qui ne facilite pas les choses pour les vrais artistes qui sont par définition multiples! Je suis conscient d’exagérer un peu mais c’est pour souligner un point. Être obligé de se limiter à une seule façon de faire n’est pas, à mon avis, une garantie de créativité et encore moins d’originalité. Nous savons que les grands maîtres de la Renaissance étaient à la fois peintres, sculpteurs, architectes, poètes et inventeurs. La raison? Eh bien tout simplement parce qu’ils avaient l’esprit créateur. Pourquoi en serait-il autrement aujourd’hui. J’ai pour cette raison choisi de présenter dans cet article de blog un artiste indépendant qui refuse de se cantonner dans un seul mode d’expression. Au contraire, il les diversifie. A notre époque d’uniformité excessive on ressent cela comme un grand bol d’air frais!

PATRICK GRISEL

Ce qui suit est un courriel que Patrick Grisel m’a envoyé lorsque nous discutions de son article de blog:

« Laurent…Un petit oublie. En 2010 arrivant à le Poët Laval, une envie d’écrire est arrivée assez vite. J’ai fait un dossier de tous les poèmes de mon père écrits entre 20 et 25 ans. J’ai fait un dossier avec nos poèmes réunis (père et fils). C’est à ce moment là que j’ai démarré une production de livres divers: poèmes, histoires locales, archives familiales.  Actuellement j’en suis à environ 25 livres. Depuis j’écris pratiquement tous les jours, c’est devenu un besoin, surtout de la poésie contemporaine, aidé par une voisine (poétesse reconnue) qui me l’a fait découvrir. J’en suis maintenant à une nouvelle forme baptisée « poésie réactive. »

Ce mail était accompagné par une reproduction d’un de ses derniers tableaux numériques. Voilà qui décrit en un mot Patrick Grisel !  Cet article de blog est surtout consacré à son travail graphique et sur ordinateur. Je passerai sur le reste, mais j’étais curieux de savoir quel avait été son parcours. Voici ce qu’il m’a raconté.

« Parmi plusieurs autres activités artistiques mon père ingénieur, mais également violoniste, inventeur, cavalier et peintre, était un dessinateur hors pair et sous son regard attentif il m’a encouragé à dessiner, et a pratiquer des activités manuelles. Tout jeune je reproduisais les personnages de Walt Disney et faisais d’autres dessins.

Plus tard, avec les boîtes de Meccano je me suis mis à construire des grues et des autos, et des camions équipés d’un petit moteur à clé. Vers l’âge de 13 ans je me lance dans le modèle réduit en bois…..bateaux que je fais naviguer et avions que je fais voler. C’est pendant mon adolescence que je vais découvrir la peinture: Picasso-Utrillo- Bernard Buffet-Mathieu-Yves Klein, etc. Je vais surtout faire des reproductions de Picasso et de Bernard Buffet. En même temps, je me suis inscrit à une école des beaux arts et pendant deux ans j’ai pratiqué dessin-peinture et sculpture. Beaucoup plus tard, j’ai eu l’occasion de suivre des stages de poterie et de sculpture sur bois qui m’ont beaucoup intéressé.

Après des études supérieurs techniques et commerciales en entrant dans la vie professionnelle je me suis associé avec un ami pour créer un bureau d’études et d’ingénierie du bâtiment dans lequel j’ai réalisé un certain nombre de projets ce qui m’amenait à faire beaucoup de dessins  techniques ce qui m’a permis de faire et de pratiquer du dessin industriel. Vers la quarantaine j’ai ressenti le besoin de trouver une nouvelle façon de m’exprimer artistiquement et dans un premier temps en m’inspirant du travail de Vasarely l’initiateur du OPART (Optical Art). J’ai tout de suite adhéré à sa technique. Puis est arrivé  l’artiste hollandais Escher avec ses compositions invraisemblables. Il m’a beaucoup inspiré et influencé tant et si bien que j’ai trouvé ma nouvelle façon de m’exprimer en pratiquant la technique du pointillé à l’encre de chine. Cette façon de faire donne une grande liberté d’exécution car le dessin devient un continuum qui permet de s’arrêter, de reprendre, de modifier à sa guise. Enfin, c’est la redoutable révolution numérique. Adieu tables à dessin, équerre, compas, gommes, papier calque, encre de chine, etc. Rien de ce que j’avais fait auparavant ne sera perdu, c’était une bonne base car je suis maintenant en mesure de développer une nouvelle méthode qui me permet d’expérimenter et d’exploiter des tas d’applications qui arrivent tous les jours en compagnie des indispensables logiciels. Ma retraite m’a permis de me lancer et de m’investir dans l’art du numérique que j’exerce avec enthousiasme tout en découvrant de jour en jour de nouvelles possibilités et de nouvelles sensations.

Patrick ne serait pas Patrick si à la fin de nos entretiens il n’avait pas ajouté «  J’ai repris ma guitare, je veux chanter les chansons de Georges Brassens avec mon petit-fils et lui faire écouter la maquette d’un CD audio de chansons dont j’ai réalisé les textes, la musique, le chant… Laurent, comme tu vois je continue à créer et j’espère le faire pendant encore longtemps. « Non, je ne regrette rien…do-sol7-do-fa-sol7-do...! » 

*Extrait d’une fable de Antoine Houdard de la Motte (1672 – 1731)

Posted in: Art

  • Vous pouvez lire aussi…