JEAN-FRANCOIS PEREÑA – “L’artiste est un artisan inspiré” ~Walter Gropius

Le présent article de blog du mois d’octobre et celui de décembre seront consacrés à deux artistes de haut niveau, mari et femme : Jean-François Pereña qui est créateur de bijoux exceptionnels et Mireille Moser, une céramiste

ROCHEBAUDIN

A une vingtaine de kilomètres à l’est de Montélimar, la D328 vous conduira à Rochebaudin (120 habitants) un joli petit village qui remonte au 12ème siècle. Il est comme enchâssé dans une gorge profonde dont les deux côtés sont liés par un vieux pont en pierre. Après l’avoir traversé en venant de l’ouest il faut passer sous une arche creusée dans la façade rocheuse afin de poursuivre son chemin dans la montagne. Le nom de Rochebaudin fait évidemment référence à la roche et « baudin » signifie en vieux français barre transversale. En se penchant par-dessus le parapet du pont qui domine le village il est difficile de ne pas éprouver un léger sentiment de claustrophobie en s’imaginant vivre comme pris en étau entre deux versants verticaux. Mais les habitants ne s’en plaignent pas ! Comme il arrive si souvent dans la Drôme l’alliance d’un beau site naturel, relativement sauvage, et les traces anciennes de présence humaine constituent tout le charme de Rochebaudin. Ce charme ne passera pas inaperçu aux yeux de Jean-François Pereña qui est un joaillier originaire d’Espagne et à ceux de Mireille Moser une céramiste qui vient de Suisse. C’est ainsi qu’ils prendront, il y a 33 ans, la décision de quitter Genève où ils vivaient et travaillaient pour venir définitivement s’installer à l’entrée de Rochebaudin dans une ancienne auberge dont ils feront l’acquisition.

 

JEAN-FRANCOIS PEREÑA

 

Lors de ma première rencontre avec Jean-François Pereña, j’eus le sentiment étrange qu’il manquait quelque chose. C’est un homme grand et aimable qui a la prestance d’un toréador, un toréador à la taille légèrement arrondie ! Le fait qu’il soit Espagnol pourrait expliquer cette impression. Et puis cela m’est venue, la pièce manquante était une « Capa » ample et noire comme celle que je l’ai vu draper autour des épaules et qui lui confère l’aspect d’un grand d’Espagne. Je lui ai récemment demandé si ses origines espagnoles avaient une quelconque influence sur son art. « Pas vraiment » m’a-t-il répondu. Ses ancêtres viennent d’horizons très différents et il serait par conséquent difficile de déceler des influences d’ordre génétique. En revanche, il est possible que son travail se ressente de cette préoccupation profondément ancrée dans l’âme espagnole qui touche à la vie et surtout à la mort et qui l’habite depuis sa prime jeunesse. La rudesse aussi des paysages de sa patrie, la dureté du climat, les contrastes tranchés entre l’ombre et la lumière expliquent peut-être son attirance pour des matières qui s’opposent comme le minéral et l’animal et qui caractérisent son travail. Mais, Jean-François estime que ces considérations d’influences ne sont pas vraiment concluantes, ni que son art en soi puisse être qualifié d’espagnol. 

Bien que Jean-François soit joaillier il ne l’est pas au sens strict du terme ; il se définit d’ailleurs lui-même comme étant un « créateur de parures. » Pour ceux qui s’imaginent voir chez lui des bagues de mariage, des bracelets et des colliers traditionnels sertis de diamants et autres pierres précieuses, une grande surprise les attend. Ne serait-ce que par leurs dimensions et leurs formes élaborées, comme aussi les matériaux utilisés, un grand nombre de ses bracelets et colliers font davantage penser à des sculptures destinées à donner de l’éclat et à mettre en valeur la personne qui les porte. Si une femme manifeste de l’intérêt pour ses créations Jean François n’hésite pas à choisir une belle pièce et d’un geste élégant la place autour de son cou ou du poignet en s’enquérant de l’impression que cela lui procure. Dans la majorité des cas la femme après l’avoir essayé répondra, même s’il s’agit d’une pièce importante, qu’elle n’en ressent pas le poids et que le collier ou le bracelet ont toute la douceur du velours. C’est ainsi, qu’une grande collectionneuse de son travail en évoquant l’effet produit sur elle dira que « Les parures de Pereña ont beaucoup de présence et les porter demande une certaine mise en scène. Jamais je ne choisis le bijou en fonction de la tenue : je décide d’une pièce dont j’ai « envie » puis le vêtement s’impose… »

Depuis toujours les femmes ont été le sujet de milliers et de milliers de tableaux et de sculptures, leur beauté, leur élégance, l’attrait érotique de leur nudité…. Jean- François sera le premier à affirmer combien elles ont une influence sur son élan créateur. Avec ferveur et une légère intonation espagnole, malgré les longues années passées en dehors de son pays natal, il reconnaît volontiers combien « La femme, l’aura d’une femme, est depuis toujours ma plus grande source d’inspiration ! » Mais pour lui c’est la manière dont elle se déplace, le mouvement de la femme qui l’inspire, lorsqu’elle marche ou quand elle s’assied, lorsqu’elle se coiffe, et même le mouvement d’une athlète qui s’élance sur la piste !

J’ai voulu savoir pourquoi Jean-François s’était orienté vers la joaillerie. « Tout a commencé pour moi au marché aux puces à Genève » m’a-t-il dit. « Je découvre par hasard un lot de chaussures dépareillées ayant appartenu à la femme du fameux roi Farouk d’Egypte. Elles sont toutes de facture plus étonnante les unes que les autres mais il y en a une qui provoque chez moi un déclic. Pour sa confection plusieurs cuirs ont été traités et utilisés de manière différente. Il y avait un cuir spécial pour le talon en forme de pyramide, un autre prenait la forme d’une main reposant sur le talon, un troisième aussi fin que de la suède utilisée par les gantiers formait l’escarpin en épousant chaque doigt de pied comme une deuxième peau ; enfin l’armature métallique de l’axe central est recouverte par encore un autre cuir. Ces assemblages et tout ce que le cuir permet de réaliser me fascinent. C’est en effet la matière de tous les possibles : il peut servir de gaine, il est modelable » Jean François s’arrête un instant avant d’ajouter «et il est capable aussi de supporter le poids d’une femme en mouvement. Tu t’imagines ? »

La première fois que nous nous sommes rencontrés, en hôte courtois, Jean-François m’invita à le suivre dans son atelier. Pour un homme de sa taille l’endroit est assez étroit, un cocon plein à craquer contenant une collection des plus hétérogènes de minéraux, de métaux et de matières animales. Le métier de l’artiste, du « créateur de parures », consiste à les assembler et à les combiner. Pierres et os, peaux tannées et séchées de toutes les espèces animales inimaginables, reptiles, poissons et oiseaux, rangés dans des boîtes en carton adossées contre le mur jusqu’au plafond. Elles donnent à l’atelier l’aspect d’une boutique de cordonnier d’un autre temps. Un choix pris au hasard du contenu de toutes ces boîtes passe par l’acacia, l’acajou, du palm de coco, séquoia, liège, peau de mangue, albâtre, lapis-lazuli, opale, marbre, coquille d’œuf d’ému, dents de cachalot et de requin, corne de vache, cuir d’estomac de fourmilier, peau d’iguane, de l’or, du zinc, de la Bakélite et du plexiglas… ET BIEN D’AUTRES ENCORE.

La plupart des artistes eux travaillent avec un nombre de matériaux limités. Les sculpteurs tailleront la pierre, souderont du métal, fonderont le bronze et mouleront le plexiglas, les peintres travaillent à l’huile, l’aquarelle, feront des pastels mais pas grand-chose d’autre. Les matériaux dont Jean-François se sert sont sans limites et cette collection surabondante est bien insuffisante selon lui pour exprimer toute la gamme de ses émotions et de ses envies. Sa réponse lorsque je l’ai questionné illustre dans une certaine mesure comment dans son cas une certaine prise de conscience sur la nature composite des choses est devenue en évoluant une source de créativité entre ses mains d’artiste.  Lorsqu’il était encore très jeune Jean François s’est tout à coup rendu compte de quelque chose à laquelle normalement on ne pense pas – et pourquoi le ferait-t-on ? – que les cheveux sur sa tête, ceux de ses sourcils, de ses cils et les poils sur ses bras n’étaient pas les mêmes, tout comme la peau sur son crâne, ses lèvres, sa langue, etc.  Plus il y réfléchira plus il se rendra compte que la combinaison d’éléments de nature différente pouvait former un tout parfaitement intégré et harmonieux. Et, c’est exactement ce qu’il fait en tant que « créateur de parures. » Un collier pourra ainsi être constitué de vingt et parfois plus d’éléments, des matières aussi disparates que de l’os de cheval, du bois de cerf, des coquillages, des dents d’otarie, du plexiglas translucide, du cuir, de l’albâtre, du corail blanc, etc.

Les couleurs, les compositions, la complexité des créations de Jean-François sont de nature à susciter l’admiration de peintres et de sculpteurs les plus exigeants. En plus, il convient aussi de mentionner son extraordinaire talent d’artisan sans lequel il lui serait impossible, vu l’incroyable diversité de matériaux, de créer une œuvre d’art homogène. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que ses pièces soient recherchées par les collectionneurs, ni que le Musée d’art et d’histoire de Genève en possède plus de 80 ! Aujourd’hui avec plus de 2000 créations à son actif et une liste impressionnante d’expositions en France et à l’étranger la fascination de Jean-François pour la joaillerie demeure. A chaque moment de la journée et même dans ses rêves il crée des objets. Il suffit, dit-il, d’un rayon de lumière sur une pierre, le vent qui soupire ou encore le balancement des hanches d’une femme pour déclencher chez lui le besoin impérieux d’assembler et de combiner des matériaux et des formes. Jean-François affirme aussi que souvent ces impulsions remontent à l’enfance lorsque le tambourinement de la pluie sur un toit, la couleur d’une robe, des petits riens aperçus fugacement le captivaient et l’affectaient profondément.

Pour tout dire, assembler des matériaux, les réunir en de multiples combinaisons sont devenus pour Jean-François, et pour reprendre ses paroles, une manière unique de créer de l’ordre dans un « merveilleux chaos ».

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