Renate de Caluwe – « Pour penser l’art, le mieux sera toujours de nous tourner vers lui avec la pureté même de celui qui chaque matin découvre un monde nouveau. »*

Aller à la rencontre d’esprits créateurs qui vivent et travaillent dans la Drôme afin de m’entretenir avec eux sur l’art avait été le but que je m’étais fixé en décidant d’écrire ce Blog. Mon souhait a été amplement exaucé. Notre région est une véritable mine d’or artistique et intellectuelle mais cette richesse, à mon avis, reste encore insuffisamment connue. A ce jour en l’espace d’à peine un an j’ai eu le bonheur d’interviewer 16 artistes. Pour certains il a fallu creuser pour les trouver car ils ne cherchaient pas à se faire de la publicité. Cette discrétion et le refus de se mettre en avant concerne l’artiste qui a bien voulu me parler de son travail aujourd’hui. En me rendant chez elle j’ai tout de suite compris qu’elle poursuivait un parcours personnel sans souci particulier d’exposer ou de se faire connaître. Peu à peu avec le temps, depuis la création de ce Blog je me suis senti devenir un collectionneur de talents créateurs et Renate de Caluwe s’inscrit parfaitement dans ce cadre. C’est une personne authentique dont le but est de réaliser des œuvres d’art qui correspondent à un univers qui lui appartient et où les émotions transcendent la parole. Avec Renate de Caluwe « ma collection » s’est donc enrichie d’une espèce rare !

Nous nous connaissons depuis plusieurs années. En réfléchissant à la meilleure façon de la présenter et comme Renate aime s’exprimer par écrit nous avons opté pour un échange épistolaire plutôt qu’un questionnaire, de manière qu’elle puisse laisser librement cours à ses pensées.

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Souspierre, août 2019

Ma chère Renate,

Tu as bien voulu me confier pourquoi et comment tu es devenue une artiste.  Nous sommes amis et à maintes occasions j’ai pu voir et admirer ton travail. Je sais que tu es venue à la création artistique sur le tard et je me suis souvent demandé comment il était possible en si peu de temps, sans formation ni expérience, que tes sculptures et ta peinture soient si accomplies. Tu admets être une perfectionniste dans la vie et pas facilement satisfaite lorsque tu crées des œuvres d’art. Pour l’essentiel créer est un exercice solitaire et j’ai compris que tu n’éprouvais pas non plus un grand besoin d’exposer étant tout aussi heureuse de garder ton travail pour toi-même et le montrer à quelques bons amis. Il y a sans doute autant de raisons invoquées qui expliquent l’acte de créer qu’il y a d’artistes. J’en ai récemment lue une que j’ai bien aimée dans une biographie du célèbre peintre anglais du siècle dernier Francis Bacon et qui pourrait tout aussi bien s’appliquer à toi. On ne le soupçonnerait pas pour qui connaît la noirceur de ses œuvres mais il a dit « Dans la vie tous les artistes sont des amoureux, des amoureux de la vie. Ils ne cherchent pas à prouver combien ils sont habiles mais ils veulent savoir comment vivre plus intensément en piégeant cette chose merveilleuse et transitoire qu’est la vie. » Voilà une bien jolie formule venant d’un artiste connu pour ses très sombres tableaux. Je m’imagine que tu es en parfait accord avec lui et que cela explique pourquoi tu crées sans cesse de belles sculptures ainsi que des peintures sur toile, sur papier et même sur des galets. Je suis curieux de savoir quand, comment et où tout cela a commencé et ce que l’art t’apporte dans la vie.

J’attends donc avec intérêt ta réponse.

Avec toute mon amitié,

Laurent

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Dieulefit,  août 2019

Mon cher Laurent,

En réponse à ta lettre, je ne voudrais pas trop m’étendre sur ce qu’a été mon chemin de vie si ce n’est que ce parcours présente quelques points communs avec ceux de nombreuses personnes qui ont choisi de s’exprimer, dans le domaine dit artistique. L’Art n’a pas besoin de s’exprimer autrement que d’une manière on ne peut plus naturelle si ce n’est pour arriver à comprendre ce qui parfois, nous complique la vie. C’est ce que j’ai fait. Je me suis compliquée la vie tant et plus pour finir par accepter de laisser la main prendre le relais de la tête et la laisser libre de s’exprimer comme elle désirait. Grâce à elle j’ai fini par admettre que je portais en moi un grand désir de concrétiser les aspirations les plus intimes de mon être. Il m’a fallu beaucoup… mais beaucoup… de temps pour y parvenir. C’est la raison pour laquelle j’aimerais m’exprimer tout naturellement comme je vais le faire grâce à toi, cher Laurent, qui m’y a invitée.

Tout a commencé en cette année 2000 qui marquait le passage d’une ère à l’autre quand j’ai décidé de quitter Paris pour venir vivre à Montélimar. L’âge de la retraite a merveilleusement sonné à mes oreilles. Mon parcours professionnel ne me prédisposait nullement à pratiquer ni la sculpture ni la peinture ni d’ailleurs aucune forme d’art. En revanche, j’étais douée manuellement tant et si bien que pendant quelques années j’ai participé à la fabrication d’instruments de musique : clavecins, guitares et luths.

Je suis pour ainsi dire une femme qui a toujours aimé regarder le plus profondément possible en elle afin de tenter d’y découvrir cette autre part de moi-même qui l‘habite. C’est ainsi que sans discontinuer je n’ai eu de cesse de tout faire dans ma vie avec un immense désir de perfection. Une perfection qu’évidemment je ne pouvais absolument pas atteindre cela va de soi. Cette vision des choses ne pouvait qu’engendrer d’importantes limitations dans la manifestation d’une quelconque créativité artistique.

Je ne peux aborder la présentation de mon parcours récent sans évoquer l’impact que mes proches ont eu sur lui. Sans entrer dans le détail, j’évoquerai un grand-père trompettiste de jazz, une grand-mère chanteuse d’opéra et harpiste, une mère pianiste et un père violoniste. Et ça ne s’arrête pas là ! D’autres membres de ma famille étaient de talentueux artistes qui avaient l’heur de s’exprimer par un don artistique. Pourtant, moi, je n’ai hérité de rien sauf peut-être d’une voix. Encore que… En revanche, j’ai bénéficié de l’intérêt que ma mère a toujours manifesté vis-à-vis de moi afin de me permettre d’aimer toute forme d’art, la musique en particulier.

Je me remémore tout cela aujourd’hui et tout en écrivant je prends conscience d’une chose qui m’échappait jusqu’à présent c’est que je portais en moi une véritable aspiration à aimer toute forme d’expression de l’harmonie. C’est un mot qui ne me quitte d’ailleurs jamais aujourd’hui encore. L’harmonie est mon maître-mot et je fais sempiternellement en sorte de la manifester dans ma vie. C’est un sacré labeur j’en conviens et une sorte d’obsession.

Cependant je dois évoquer le point charnière qui a déclenché en moi ce désir irrépressible de m’exprimer artistiquement. Je dirais plutôt ce désir de concrétiser ce qui commençait à pousser la porte de mon être… un monde. Nous sommes en 2003. Des amis me proposent de les accompagner en Inde dans un ashram et m’offrent le billet d’avion gratuit dont ils bénéficiaient. Et c’est au retour de ce voyage que se passe un événement étrange et inattendu : un désir irrépressible de sculpter la pierre. Je passerai deux années quotidiennement dans l’atelier d’un sculpteur qui vivait à Montélimar jusqu’au moment où me voilà convaincue de ma capacité à créer… du moins par la sculpture sur pierre.

Créer quoi ! Et bien ce que j’ai vite reconnu comme étant des « êtres ». C’est ainsi que j’aimais les définir. Des « êtres » venus d’ailleurs. Des « êtres » toujours nouveaux pourtant mais possédant tous un lien indéniable. Comme ceux d’une famille. La pierre semblait les porter en elle et il m’appartenait de les révéler. C’est ce que je me plaisais à penser et cela m’impressionnait quelque peu et même me dépassait.

Parallèlement, je faisais confiance à ma main pour faire le travail. Il est intéressant de noter que lorsqu’elle ne sculptait pas elle traçait sur le papier, à l’encre de chine, des dessins extrêmement minutieux et détaillés évoquant là aussi un « drôle de monde ». Comme dans ma sculpture, des sortes d’êtres mi-animaux, mi-humains et néanmoins puissants prenaient vie dans mon imaginaire à un degré inattendu. Sculpture, dessin, une même inspiration, un même monde !

J’employais pour dessiner de fins Rotrings d’encre noire. Toujours noire. D’ailleurs il m’était absolument impossible à ce moment-là de concevoir la couleur. Et même lorsque je tentais de l’utiliser dans mes dessins, une sorte de blocage douloureux me tirait parfois des larmes. Je ressentais alors la puissance d’un problème dont j’étais incapable d’en comprendre l’origine.

Il ne m’est pas facile d’évoquer ce qui m’a incitée à me plonger littéralement en moi-même par la manifestation de ce type de dessins. Cette sorte d’expression mobilisait en moi un état de concentration extrême provoqué toujours par mon goût démesuré pour la perfection. Des heures durant, sans discontinuer, je me penchais aussi près que possible sur ma table de travail dans le souci du trait « parfait », sans aucune rature dans lequel on pouvait déceler que ma main n’avait à aucun moment quitté le papier. Inutile de préciser que cette sorte d’expression ne pouvait qu’accentuer mon goût pour la solitude et la méditation car pendant que je me souciais ainsi de la perfection de mon trait je « cogitais » tant et plus à la manière dont je pourrais sortir de cette sorte d’enfermement. En fait je souffrais de ne pouvoir prendre un certain envol vers des cieux plus joyeux et surtout plus colorés.

En 2010 je me vois contrainte, non sans un immense regret, d’abandonner la sculpture à cause d’un grave problème de santé qui avait amoindri mes forces vitales.

C’est alors qu’il m’a fallu traverser une longue période de vide qui a duré deux années. Mon cœur ayant subi une grave opération je ne dessinais même plus. Je n’en étais plus du tout capable. Toute capacité d’expression m’avait totalement quittée. Tant et si bien qu’au bout de ces deux années je me suis inscrite à un cours de dessin afin de… ré apprendre, comme un enfant. Tu sais, deux petits ronds pour les yeux et un trait en demi-lune pour la bouche ! Difficilement concevable n’est-ce pas de constater qu’on est pour ainsi dire revenue à la case départ. J’avais 3 ans !

Petit à petit la confiance est revenue et ma main avec elle a recommencé à vivre. Et cette fois la couleur s’est invitée progressivement pour aujourd’hui s’imposer. Plus de Rotring, juste une amorce de peinture, une rencontre avec la couleur.

En 2012 je prends la décision de venir vivre dans ce merveilleux village qu’est Dieulefit. Il m’a fallu attendre d’arriver à un certain âge pour accepter de prendre conscience qu’il m’était possible de me diriger vers la peinture, en fait vers la couleur. Toutefois, dans un premier temps, mon goût toujours présent pour la perfection me mène à peindre – comme j’aime à le dire – des « chinoiseries ». Je me régale étant donné mon goût pour le détail. La concentration que cette peinture nécessite permet que je puisse m’évader dans mes pensées, c’est-à-dire m’interroger pour tout et pour rien. Surtout pour tout je dois le reconnaître. Peinture, lecture, marches quotidiennes dans cette belle nature qui nous environne ici à Dieulefit. Je suis dans ma bulle et je m’y sens bien.

C’est seulement en 2018 que je décide subitement de quitter mon mode d’expression « artistique pointu » pour prendre un risque inhabituel pour moi, laisser ma main s’affoler tant par le trait que maintenant aussi par la couleur. J’abandonne alors totalement le « style » qui était le mien précédemment. Je n’y reviens jamais.

Lorsque je regarde en arrière, que ce soit en ce qui concerne ce que j’ai tenté de manifester « artistiquement » ou la direction que j’ai donnée à ma vie, je me dois de constater avec humilité que j’ai acquis une sorte de tranquillité intérieure.

Ah j’oubliais d’en parler, j’ai aussi fait de la gravure et je peins sur des galets bien lisses, et je me régale de le faire.

Tu me demandes Laurent quels sont les artistes qui m’inspirent. Je te répondrais beaucoup bien sûr, mais en particulier, en tant que peintre, Chagall, car la couleur, lui, il connaissait. Et en tant que sculpteurs, Brancusi et Zadkine.

Voilà, j’espère avoir su répondre tant soit peu à tes interrogations sur mon travail.

Bien à toi,

Renate

 

*Antoni Tapies

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